lundi 21 janvier 2008

L'Horloge



Horloge ! dieu sinistre, effrayant , impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit :

Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison,

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte , Maintenant dit : je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

Remember ! Souviens-toi ! prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toute les langues.)
Les minutes, mortel folatre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !

Souviens toi que le temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi,
Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard, Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge, Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !) , Où tout dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard !

Charles Baudelaires

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